Dans les coulisses de l’action publique

Dans les coulisses de l’action publique

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Julien WEISBEIN
Maître de conférences en science politique, membre du LaSSP
Sciences-Po Toulouse

Lorsqu’un élu inaugure un bâtiment, on oublie qu’une nuée de collaborateurs « techniques » divers ont contribué activement – mais dans l’ombre – à la production de cet événement « politique » ; de même, on ne voit pas que sa capacité d’action provient tout autant du mandat que lui ont conféré les électeurs que de l’appui d’autres réseaux de sociabilité, de mondanité... Pour dépasser ces deux angles morts de la décision publique, il faut alors pénétrer les coulisses de cette dernière.

Du reste, la métaphore des coulisses fonctionne bien pour montrer tout ce que l’activité politique propre à nos démocraties représentatives tend à invisibiliser : tant la machinerie qui appuie le spectacle en plein jeu sur la scène que cette zone où l’acteur, délivré du regard du public, apprend son rôle, se prépare ou se repose de sa performance.

C’est donc à ce voyage que nous convient quelques travaux récents de science politique qui, parce que souvent basés sur des enquêtes de type ethnographique, donnent véritablement à voir la production concrète, souvent méconnue, des décisions publiques. On découvre alors que celles-ci ne se résument pas à un ou des décideurs : le travail normatif de l’élu, le choix qu’il fait durant son mandat, reposent de plus en plus sur la collaboration active d’un ensemble croissant de collaborateurs qui lui permettent de s’ajuster à une action publique de plus en plus technique, contrainte, complexe.

On les trouve d’abord dans les entourages ministériels : l’ouvrage collectif dirigé par Xavier Bioy, Jean-Michel Eymeri-Douzans et Stéphane Mouton (Le Règne des entourages. Cabinets et conseillers de l’exécutif, Presses de Sciences Po, 2015) montre particulièrement bien en quoi ces personnels ne font pas que préparer « techniquement » une décision que le ministre tranchera « politiquement », mais qu’ils coproduisent en fait celle-ci. Ce « cerveau collectif » que constitue l’entourage d’un ministre tend alors à se confondre avec sa personne, celui-ci portant en son nom propre une entreprise collective. « Technique » et « politique », on le voit, ne sont pas séparées mais finement entremêlées.

C’est un résultat similaire que l’on retrouve à un niveau hiérarchique moindre, celui des assistants parlementaires ou des exécutifs des collectivités territoriales, comme le montre bien l’équipe de chercheurs rassemblée par Willy Beauvallet et Sébastien Michon (Dans l’ombre des élus. Une sociologie des collaborateurs politiques, Presses universitaires du Septentrion, 2017). Par leur travail de collaborateurs au service des élus (nationaux, ou locaux), ces assistants parlementaires ou autres directeurs généraux composent un univers professionnel de quelques milliers de personnes qui s’avère petit (quoiqu’en pleine expansion en raison de la technicisation croissante de l’action publique, avec la décentralisation ou l’Union européenne), mais aussi très diversifié (car recruté dans les entourages politiques comme sur les bancs des grandes écoles). Mais surtout, ils articulent constamment dans leurs activités quotidiennes ce qui relève du politique (argumentation, relations avec les administrés, les journalistes…) et du technique (rédaction des propositions de loi, contacts avec les administrations…).

Finalement, ce que l’on découvre dans ces coulisses de l’action publique relève moins d’intérêts particuliers que de la routine d’une activité professionnelle. C’est d’ailleurs en ce sens que les auteurs rassemblés par Didier Demazière et Patrick Le Lidec analysent l’action des entourages politiques comme un travail (presque) comme les autres, et lui appliquent les mêmes grilles d’analyse (types d’activités, division du travail, gestion du temps, apprentissage et socialisation au métier, etc.). Mais même s’il s’agit d’une activité professionnelle contrainte par le jeu du suffrage universel ou par le type d’institution qui l’héberge, elle n’en reste pas moins déterminante. (Les Mondes du travail politique. Les élus et leurs entourages, Presses universitaires de Rennes, 2014).

On le voit, ces enquêtes n’apportent pas seulement un éclairage sur le fonctionnement de l’action publique en France aujourd’hui. Elles en questionnent plus fondamentalement la dimension politique, entendue comme la capacité de la communauté politique à décider et maîtriser la fabrique des politiques publiques.

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