De l’urbanisme commercial à la politique de revitalisation des centres-villes : quarante ans de législation

De l’urbanisme commercial à la politique de revitalisation des centres-villes : quarante ans de législation

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Matthieu POUMARÈDE
Professeur de droit, Directeur de l’IEJUC
Université Toulouse Capitole

Les récents débats tenus au Sénat à l’occasion de l’adoption de la loi ELAN démontrent, s’il en était besoin, qu’il n’existe toujours pas de vision commune et partagée de la place du commerce dans la ville ni, surtout, de moyens pour parvenir à un développement harmonieux de la ville par le commerce. Au motif de faciliter l’implantation de nouveaux commerces en centre-ville, il était notamment proposé de fixer, sous certaines conditions, le seuil d’intervention de la CDAC aux projets supérieurs à 5 000 m². Alors que certains affirmaient qu’ouvrir sans contrôle le centre-ville aux centres commerciaux et aux grandes surfaces était dangereux, et soulignaient l’utilité d’un passage en CDAC – mais des CDAC renouvelées, en capacité de mener des réflexions sur le tissu commercial – le ministre Jacques Mézard posa le constat que l’existence de ces commissions n’avaient pas permis de préserver la vitalité commerciale des centres-villes ni l’équilibre avec leur périphérie.

 

De la loi Royer à la loi ELAN

Où l’on voit que malgré l’important travail fourni ces derniers mois pour tenter de parvenir à un consensus, les discussions demeurent vives. Il est vrai que les pouvoirs publics se trouvent désormais confrontés à des réalités territoriales très variées, qui non seulement avaient été mal entrevues au moment de l’entrée en vigueur du régime d’autorisation, en 19731, mais que la pratique de ce régime a aussi nettement contribué à accentuer. En effet, il est notable que tant le droit de l’aménagement commercial que le droit de l’urbanisme donnaient les outils nécessaires. Et pourtant, sans revenir sur le bilan pour le moins contrasté du régime français instauré par la loi Royer, il est partagé par tous que les 40 dernières années d’urbanisme commercial à la française ne brillent pas par leurs succès.

Sans doute, après l’épisode LME2, peu ou prou contraint par la directive du 12 décembre 2006 sur les services dans le marché intérieur et l’article 43 du traité CE relatif à la liberté d’installation, l’État a-t-il tenté de reprendre la main ; tel était, notamment, l’objectif de la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises dite « loi Pinel ». Pour autant, les tendances observées jusqu’alors, et que le législateur tentait précisément de juguler, ne se sont pas renversées. Il était donc temps d’intervenir, alors que le déplacement des flux commerciaux permis (voire encouragé) par nos législations et leur application a tant contribué à façonner nos villes et leurs périphéries.

Telle est la raison pour laquelle, une nouvelle fois, l’ouvrage fut remis sur le métier. Mais, semble-t-il, avec des infléchissements notables après 40 années d’une législation ayant grandement participé au déclin des centres-villes, sans que les patchs législatifs ne permettent de corriger la situation (action du FISAC, mise en place de périmètres de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité dans lesquels peut s’exercer un droit de préemption sur les fonds, baux commerciaux et terrains – Code de l’urbanisme, art. L. 214-1 ; contrat de revitalisation artisanale et commerciale etc.), malgré des volontés locales affichées (préservation par certains PLU des linéaires commerciaux, etc.). Ainsi, au-delà des politiques locales plus ou moins originales et des expérimentations développées sur les territoires avec les syndicats professionnels et les associations, le législateur s’est à nouveau saisi de la question. La loi du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, a participé de ce mouvement en redéfinissant les compétences. Mais c’est essentiellement l’« Action coeur de ville », présentée par le gouvernement en décembre 2017, et sa concrétisation législative dans la loi ELAN qui retiennent l’attention ces derniers mois. En effet, si les moyens d’y parvenir ne font toujours pas l’unanimité, l’objectif est désormais largement partagé : la priorité est au centre-ville (… la périphérie attendra).

 

La loi ELAN, un changement de paradigme ?

C’est ainsi que la loi ELAN, mais également la proposition de loi portant sur le pacte national de revitalisation des centres-villes et des centresbourgs votée par le Sénat le 14 juin 2018 et dont certaines orientations se retrouvent dans la loi ELAN, sont les premières manifestations de ce qui pourrait être un changement de paradigme. Le législateur accepte en effet, pour la première fois semble-til, de traiter de la complexité multifactorielle de la dévitalisation des centres-villes, en tentant d’y apporter une réponse globale. Il ne s’agit plus d’apporter des correctifs à un régime d’autorisation en échec, mais de repenser les centralités.

Pour atteindre ces objectifs, la méthode mise en place n’est pas fondamentalement novatrice, mais elle est assurément ambitieuse.

D’un côté, la loi ELAN prévoit la création d’« opérations de revitalisation du territoire » qui sont destinées à constituer le support juridique du plan « Action coeur de ville », annoncé à la fin de l’année 2017. Dans ses grandes lignes, il s’agit, dans certaines villes moyennes (environ 200 réparties sur le territoire national), de mettre en place un périmètre au sein duquel seront non seulement mis en oeuvre des moyens financiers supplémentaires, mais seront également permises des dérogations au droit applicable, dans l’objectif de maintenir le commerce, voire de recommercialiser les centres-villes. Mais la loi ELAN ne se limite pas à ce dispositif exceptionnel.

D’un autre côté, elle prévoit, en effet, de modifier certaines règles existantes afin de tenter d’infléchir les tendances actuelles sur l’ensemble des territoires (modification de la procédure d’autorisation d’exploitation commerciale et du contrôle des autorisations, renforcement du contenu du DAAC, modification de la composition des CDAC, etc.).

 

Ces mesures seront-elles de nature à renverser les flux commerciaux et, plus avant, à favoriser la revitalisation des centres-villes ? Il serait hardi de répondre ; de fait, les dispositifs ne sont pas encore en place. Mais la volonté politique exprimée à l’occasion des débats parlementaires témoigne non seulement d’une prise de conscience, mais également d’une volonté d’apporter des solutions globales à la revitalisation des centres-villes. Or, y parvenir suppose que la loi ELAN, en grande partie expérimentale, sera une étape vers la reconquête des centres-villes.

 

Acronymes :

CDAC : Commission Départementale d’Aménagement Commercial

CE : Communauté européenne

DAAC : Document d’Aménagement Artisanal et Commercial

ELAN : Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique

FISAC : Fonds d’Intervention pour les Services, l’Artisanat et le Commerce

LME : Loi de Modernisation de l’Économie

PLU : Plan Local d’Urbanisme

  1. Loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 d’orientation du commerce et de l’artisanat, dite loi Royer
  2. Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, dite LME.

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