Entretien avec Randa Maroufi

Entretien avec Randa Maroufi

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Rédactrice en Cheffe de BelvedeR, chargée de mission Dialogues urbains, AUAT

Randa Maroufi est une artiste au travail polymorphe (photographie, vidéo, installation, performance, son) qui s’intéresse à la mise en scène des corps dans l’espace, public ou intime. Dans la série photographique Les Intruses qu’elle a exposée en début d’année 2021 à l’intérieur et à l’extérieur du Pavillon Blanc à Colomiers mais aussi dans les rues de Paris et Zagreb, elle interroge la place des femmes dans l’espace public. Son travail fait immanquablement réagir et témoigne de la capacité des démarches artistiques à nous interpeller, à susciter le débat.

La ville, l’urbain, l’espace public semblent tenir une place importante dans votre travail. Quel regard portez-vous sur ces espaces ? Pourquoi cette place singulière dans vos projets, comment cela vous inspire ?

Ma démarche s’inspire de préoccupations d’ordre social, sociétal et politique. Mes propositions artistiques examinent le territoire, elles interrogent ses limites et les manières que les êtres humains ont de l’investir. Je tente de mener une réflexion approfondie sur les formes d’appropriation des espaces politiques. Je choisis de montrer ce que ces espaces, réels ou symboliques, produisent sur les corps. Chaque projet est lié à un territoire, mais aussi transposable à d’autres. Mes propositions sont le fruit d’une rencontre : rencontre avec un lieu (souvent, celui-ci devient décor), rencontre avec des individus (qui en deviennent protagonistes). Ce croisement est primordial et précieux pour créer des fictions qui questionnent le réel. Ces fictions se déroulent dans un espace : soit dans un lieu qui existe, soit dans un lieu que les personnes rencontrées et moi-même fabriquons ensemble. La densité de la foule me rassure, la ligne 13 du métro parisien pendant les heures de pointe est une forme de quiétude. Ce rassemblement, ce mouvement, cette saturation, cet entassement de corps, de voix, de pensées évoquent une force. C’est ce qui forme cet espace commun qui conditionne notre comportement et notre rapport à l’autre. L’espace public reste l’espace de sociabilité et de solidarité populaire où les discours et les usages sont multiples. Le lien social y naît. C’est tout ce qui anime et alimente mon travail. C’est mon atelier.

 

Nous nous intéressons dans ce numéro à la capacité qu’ont certaines démarches artistiques à interroger nos métiers, à susciter le débat, en nous proposant un regard autre sur la ville. Votre série de photographies Les Intruses fait nécessairement réagir les élus, architectes, urbanistes, géographes, sociologues qui nous lisent… C’est une bonne entrée en matière pour parler des questions de genre, de la place des femmes et du corps dans l’espace public. Quel est le point de départ de ce projet ?

L’idée du projet de la série Les Intruses est née en décembre 2016. Lors de mes trajets quotidiens sur la ligne 2 du métro parisien, je remarquais une occupation majoritairement masculine d’une partie du paysage. Ce regroupement d’individus m’a donné l’envie de travailler sur le détournement des genres. En janvier 2018, Moussem Nomadic Arts Centre à Bruxelles m’a invitée afin d’adapter le projet au territoire bruxellois. La photographie intitulée Place Houwaert est le fruit de cette résidence et marque le début de la série Les Intruses. Le deuxième volet Barbès a été réalisé en 2019 dans le cadre de l’appel à projets Embellir Paris lancé par la Ville de Paris. À première vue, l’espace public paraît mixte, mais les déséquilibres entre les genres restent profonds. Parfois, la gent féminine y est quasiment invisible. En inversant les rôles, cette situation propose de reconsidérer les modalités du rapport à l’autre. Une des pistes de mes recherches s’attarde sur la question du langage : l’étymologie du mot « intrus » signifie « introduire de force », ou « qui n’est pas à sa place, et dont la présence peut déranger ». Je me sers du champ de l’image pour remettre le vivant en question et permettre une lecture du réel. La série Les Intruses va au-delà d’une dénonciation, c’est un acte. Consciente que le geste est extrême, imaginer un monde composé uniquement de femmes. Ici, je propose d’opposer à une réalité de l’espace urbain « extrême » une image elle aussi « extrême », afin de confronter les forces visibles et invisibles et faire naître une alternative plus nuancée. Les Intruses invite à une perception nouvelle du paysage urbain. En travaillant avec des décors comme celui de Barbès, dont je suis usagère et qui m’est de ce fait familier, j’ai peu à peu considéré des lieux qui me sont plus inconnus, et qui définissent d’une certaine manière la politique de la ville. Ces lieux de pouvoir, en majorité habités par des hommes, blancs et de classes sociales bien plus aisées, sont l’épicentre d’une structure d’autorité, qui définit et pense la politique de l’espace public. Un jeu de miroir se dessine entre le dedans et le dehors. Il serait intéressant de voir quelles incidences pourraient naître si on déconstruisait ces espaces intérieurs de pouvoir, en y redéfinissant la place de ces habitants et habitantes et, par extension, de faire la lumière sur l’état actuel du paysage public non genré.

 

Vous avez présenté la série Les Intruses au Pavillon Blanc de Colomiers. Vous avez aussi fait des installations de cette série dans l’espace public à Colomiers, à Paris et à Zagreb, comme une mise en abîme de vos photographies. Quelles ont été les réactions suscitées par ces installations ?

C’est toujours fascinant de scruter les réactions des gens… Parfois l’image s’efface et entre en résonance avec la ville, puisqu’elles cohabitent. Mais certaines réactions m’ont particulièrement touchée, comme celle d’un jeune homme qui, le jour de l’inauguration du projet à Barbès, m’avait surprise quand, en me félicitant, il a ajouté : « Je me reconnais dans tes images, ça c’est mes potes et moi ! » La mise en scène me permet d’interroger toutes ces représentations et d’instaurer une distance avec la réalité. La fiction ici offre au public une image dans laquelle il peut se reconnaître, c’est peut-être déjà un point de départ pour ouvrir le débat sur nos problèmes, dévoiler nos dysfonctionnements et soulever des questions d’injustice sociale.


Les oeuvres de Randa Maroufi présentées dans cet entretien sont produites par l’Institut des Cultures d’Islam, dans le cadre de l’appel à projets de la Ville de Paris Embellir Paris.

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