Georges Frêche, maire bâtisseur

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Nicolas POIROT
Chef de projet, Direction de l'aménagement
aua/T
Jean-Paul VOLLE
Professeur émérite en géographie, aménagement et urbanisme, membre du laboratoire ART-DEV
Université Paul-Valéry – Montpellier III

« Le maire bâtisseur n’existe presque plus, le maire aménageur l’aura bientôt remplacé » titrait Le Monde, sous la signature de Jean-Pierre Gonguet, le 5 décembre 2017. Sans entrer dans le débat, cette affirmation rappelle toute la difficulté que pose aujourd’hui la fabrique de la ville. Or c’est bien par la pierre ou le béton que certains édiles ont définitivement associé leur nom à leur ville. Comprendre Montpellier est ainsi indissociable de son maire emblématique, Georges Frêche, maire bâtisseur s’il en est.

D’Antigone à Port Marianne, la ville en héritage

Lorsque Georges Frêche accède aux fonctions de maire en 1977, Montpellier n’a pas la dimension et la trajectoire qu’on lui connaît aujourd’hui. Capitale de « circonscription régionale », elle a entamé sa mue économique grâce à l’arrivée d’IBM en 1965 et à l’accueil de quelque 25 000 rapatriés qui lui font vivre une véritable « révolution démographique » déterminant une non moins importante « révolution urbaine ». Au gré des opportunités foncières, la ZUP de La Paillade, les grands ensembles et le « centre commercial régional » de Polygone confèrent un ton de modernité à une ville en croissance, sans que l’on puisse y lire pour autant un projet de développement cohérent.

 

Centre commercial du Polygone aujourd’hui

Le changement politique de 1977 se traduit par une rupture profonde quant à la « façon de faire la ville ». « Changer la Ville pour changer la vie » devient la ligne de conduite d’une équipe qui a construit sa campagne sur des ateliers « Citoyens et Urbanisme ». Sous la conduite de Georges Frêche, Raymond Dugrand – adjoint à l’urbanisme – et Ricardo Bofill – architecte en chef – vont s’engager dans un processus de planification urbaine, à forte connotation culturelle et socio-politique. Celui-ci introduit Montpellier dans un univers nouveau, loin des figures urbaines alors dominantes. La méthode de planification est profondément marquée par une vision politique « dirigiste ». Elle vise à changer la ville dans ses dimensions et ses trajectoires, instaurant une rupture essentielle et déterminante autour d’un projet de ville qui doit consolider les assises de la capitale régionale et la projeter dans un futur de métropole. Ce « futur de ville » est à penser, définir, révéler et consolider, en s’affranchissant des pesanteurs historiques, en redessinant ses paysages et sa composition formelle. L’ouvrir à la modernité sans perdre de vue la finalité politique qui doit l’inscrire au cœur des représentations sociales. La « ville nouvelle » qui prend corps est en rupture avec l’héritage de la ville historique (sous contrôle de la loi Malraux) et celle des grands ensembles périphériques, mais n’est en rien isolée. Le nouveau quartier Antigone est construit à la fois en opposition et dans le prolongement de Polygone, qui constitue pour sa part une véritable clôture du centre. La rupture introduite par Antigone se situe tant dans ses agencements formels que dans la conception globale d’une greffe résidentielle ouverte, en conquête de nouveaux horizons. Au pied du « mur » de Polygone qui surplombe d’anciens terrains militaires notamment, Ricardo Bofill va dessiner le plan masse d’Antigone jusqu’au Lez, le fleuve dont on se méfie et qui reste à conquérir. Le trait architectural va confirmer l’approche politique « post-moderne ». L’hôtel de région qui y est implanté prend valeur de symbole de la réussite urbanistique revendiquée.

 

Visite du chantier Antigone avec G. Frêche, R. Bofill et R. Dugrand, 1979

Bâtir la ville définit donc le processus inventif d’une modénature urbaine, de mise en récit qui transgresse les rouages techniques des outils de planification. Antigone, pour ses concepteurs, devient ŒUVRE, architecturale et urbaine, sociale et politique, elle s’affirme comme dessein de ville. Antigone et Port Marianne qui la prolonge hors de toute copie dessinent une ville nouvelle mise « en héritage », c’est-à-dire au service d’une modernité transmissible et d’un cadre de vie en phase avec les exigences d’un « futur » de métropole. Toutes deux contribuent globalement à matérialiser « la ville inventée » et donnent corps à l’émergence d’une dimension métropolitaine dont elles préfigurent les premières réponses. C’est là le fruit d’une stratégie municipale cohérente sur les plans technique (maîtrise du foncier et des outils de planification), architectural (une signature), urbanistique (des quartiers de la ville) et politique (conforter les assises du pouvoir municipal). Le projet affiche une finalité partagée, celle de transformer la ville dans ses structures et sa composition formelle, de l’affranchir de ses pesanteurs historiques, d’en redessiner les paysages, de l’ouvrir à une modernité de fait. Ces opérations configurent une « longue marche vers la mer » et ont inversé durablement le sens de la ville, le littoral s’établissant comme horizon du futur.

Les projets d’Antigone et de Port Marianne affichent l’idée de continuité, de savoir-faire et de volonté politique. La planification en définit le cheminement et fait ainsi figure de modèle. Cela tant pour asseoir le pouvoir municipal que pour dessiner la ville de demain, toute d’invention et de modernité, et pour initier une mise en récit qui en dévoile plus les acquis que les rouages. Le projet de ville illustre la force d’un maire qui aura bâti sa ville avec volonté, en s’appuyant sur des hommes et des compétences.

 

Le quartier Antigone et au premier plan l’Hôtel de Région

 


Références bibliographiques
  • Sous la direction de Jean-Paul VOLLE, Laurent VIALA, Emmanuel NÉGRIER, Catherine BERNIÉ-BOISSARD, Montpellier, la ville inventée, Éditions Parenthèses, 2010.
  • BOFILL Ricardo, Les Dessins d’Antigone, photothèque de la ville de Montpellier, 1979.
  • BÉRARD Éric, « Montpellier, cœur d’agglomération » Urbanisme n° 26, 2005.
  • Montpellier architectures, 1977- 1992, Direction aménagement et programmation, Mairie de Montpellier, 1993.
  • Chroniques de Port Marianne, Une histoire urbaine (1989-2009), Éditions Carré, 2009.
  • FRÊCHE Georges, Montpellier, la longue marche, 1970-2020, Éditions Empreinte, 2005.

© C. Hahusseau © MTP – Georges Frêche - l’Association © RBTA d.r

Contenu additionnel :


Site de l’association Georges frêche : http://www.georgesfreche-lassociation.fr/

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