Le commerce de détail à l’heure du numérique : bref panorama d’un secteur en r-évolutions

Le commerce de détail à l’heure du numérique : bref panorama d’un secteur en r-évolutions

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Samuel DEPREZ
Maître de conférences en géographie, membre de l’UMR IDEES (Unités Mixtes de Recherche Identités et Différenciation de l'Environnement des Espaces et des Sociétés) Responsable de l'Institut d'Urbanisme de Normandie
Université du Havre

L’achat en ligne ou les nouveaux itinéraires de consommation des Français

Des débuts timides de la vente sur Internet dans notre pays ne reste qu’un lointain souvenir : 56 % des Français achètent en ligne au moins une fois par mois 1, et un sur cinq a minima une fois par semaine. Le e-commerce représentait en 2017 près de 82 milliards de chiffre d’affaires et la dynamique ne faiblit pas.
Une pratique désormais bien ancrée dans les foyers donc, dont témoignent l’évolution et la structure des dépenses en ligne. Si le montant moyen par achat (65 euros en 2017) se contracte, le nombre de transactions, lui, croît significativement (progression de 18,5 % en un an) et le montant des dépenses s’envole : 2 200 euros en moyenne par cyberacheteur en 2017.
Les raisons de ce succès sont bien connues : le gain de temps par rapport à l’achat en boutique, le rapport qualité/prix perçu comme plus favorable sur Internet, la livraison à domicile et l’achat réalisé sans contrainte de temps ni de lieu constituent les motivations déclarées. Sur le dernier point, et même si la pratique reste moins répandue qu’au Royaume-Uni ou qu’en Allemagne, l’utilisation grandissante du smartphone supporte activement le transfert de l’acte d’achat du commerce physique vers le canal numérique et de la boutique vers Internet. Car la réalité et l’enjeu de l’instant sont en effet là, dans ces nouveaux comportements des consommateurs et les conséquences, méconnues mais certaines, sur l’activité des commerces et leur devenir.

sources : Fevad/Médiamétrie -2017

Des facteurs d’inquiétude certains pour le commerce de détail…

Quelques tendances lourdes, structurelles et conjoncturelles, font naître en effet de fortes craintes sur l’avenir de la vente physique. Les premières illustrent le contexte difficile dans lequel s’inscrit l’activité du commerce de détail, entre concurrence exacerbée de la vente en ligne et polarisation forte de l’activité autour d’un nombre resserré de cybermarchands, là où le passage des petits détaillants au numérique s’effectue encore à pas lents.

Source : Fevad

Et si le poids de la vente en ligne dans le commerce de détail (9 %) progresse lentement (+1 % par an), sa progression est préoccupante pour l’avenir de certains secteurs. L’équipement de la maison et celui de la personne font face à une rude concurrence. L’habillement se classe ainsi en tête des achats sur Internet, porté par la mode féminine, les chaussures et les articles de sport. Preuve plus récente de la banalisation de l’achat en ligne, les secteurs de la beauté et de la santé progressent fortement et séduisent plus d’un tiers des cyberacheteurs.
Si ces tendances ne sauraient sonner le glas de la vente en boutique et soutenir l’idée d’une fin annoncée du commerce physique, on ne peut nier leur impact sur l’activité de ces secteurs qui représentent un tiers des chiffres d’affaires du commerce de détail et près d’un point de vente sur deux.

… et des recompositions à venir dans le paysage commercial

Magasins fermés et boutiques aux rideaux baissés sont désormais une réalité bien présente au cœur de nombreuses villes, et la tendance risque de se confirmer voire de s’accélérer sous l’impulsion de l’achat en ligne. Au premier rang des motifs d’inquiétude, la structure du secteur, progressivement passé entre les mains des réseaux d’enseignes qui ont opéré leur révolution digitale et développent des stratégies omnicanales dans lesquelles site Internet et boutique se complètent et renforcent l’attractivité de l’offre.
Face à ces réalités nouvelles, les commerces indépendants (72 % des points de vente et 31 % du chiffre d’affaires) sont en recul constant depuis 2007. La crainte d’un resserrement encore plus marqué autour des réseaux et franchises laisse entrevoir de nouvelles fermetures, en centre-ville de toute évidence, mais aussi dans les centres commerciaux.
Une concurrence de la vente en ligne donc, qui se combine en ces temps économiques austères à l’atonie de la consommation des ménages 2et à l’érosion de leur pouvoir d’achat. La tentation de la commande en ligne pour un moindre coût, plus ou moins avéré, est en effet grande lorsque le logement, les transports et l’alimentation mobilisent plus de la moitié du budget des foyers et les contraignent à des arbitrages aux dépens de l’habillement, de la santé, des loisirs et de la culture.

Le numérique, support d’un renouveau du commerce de proximité ?

Le e-commerce doit-il alors être lu uniquement comme un facteur de risque et une menace pour l’activité locale ? Certainement pas. Si les couleurs du paysage commercial qui se dessine sont à dominante sombre, des raisons d’espérer s’expriment au travers d’initiatives locales de créations de places de marchés (achetons- local.com) ou de sites de ventes privées (marche-prive.com), de fédérations de commerçants autour de plates-formes communes (achetezaupuy. com) ou de mises en place de services dédiés au e-commerce (sceaux-shopping.com).
Ce e-commerce de proximité prend aussi corps autour de la distribution alimentaire connectée, dont il soutient le développement sous des formats multiples (drives fermiers ou paysans, circuits courts en ligne, plates-formes de producteurs…) qui prennent place aux côtés de 3 500 drives d’enseignes – une spécificité française –, qui maillent le territoire pour des volumes d’activités toujours croissants. Les effets sur l’activité des petits commerçants restent difficiles à évaluer, faute de données affinées sur le sujet, mais la concurrence ici encore s’exprime : s’il réoriente ses choix vers des circuits de production et de distribution différents, le client ne consomme pas plus, bien au contraire…

Vers un changement de paradigme

Et c’est bien à un changement de paradigme profond, dans la conception et la lecture du fait commercial et de sa relation aux territoires, qu’invite l’essor du commerce connecté, pour analyser les changements à l’œuvre, saisir les réalités émergentes et accompagner les besoins nouveaux de ce secteur.
Quelles postures alors pour l’acteur public afin d’accompagner cette réécriture en cours de la relation entre ville et commerce ? Si le propos ne se veut pas ici exhaustif, des pistes se dessinent. En reconnaissant enfin – et en l’assumant par des politiques ambitieuses – que la fonction commerciale en certains lieux a vécu et ne sera plus, et qu’il convient de définir pour des cellules commerciales vacantes une nouvelle destination (logements sociaux, étudiants ou adaptés, locaux à vocation logistique pour répondre à la croissance des volumes de colis…). En admettant aussi que le centre-ville se rétracte autour d’un nombre de rues limité où doivent s’appliquer les dispositifs disponibles (périmètre de protection du linéaire commercial, droit de préemption commercial…), pour recréer et/ou intensifier autour des activités encore présentes une identité commerciale forte. En rompant aussi avec les schémas classiques d’une offre uniforme en toute ville, pour imaginer un commerce davantage ancré, en lien avec son territoire et ses habitants, en capacité d’accompagner ses évolutions démographiques (vieillissement de la population…) et structurelles et de répondre aux nouveaux besoins qui s’y expriment.
Et le numérique aura assurément aussi un rôle à jouer dans ce nouveau commerce à inventer, avec des degrés et des formes de mobilisation différents selon les acteurs et les publics visés. Pour les uns, tout se jouera sans nul doute autour de l’expérience d’achats et un commerce envisagé comme agile, intuitif, immersif par la digitalisation à outrance de points de vente reconfigurés dans leur forme et étroitement imbriqués aux sites en ligne pour des parcours d’achats sans couture. Pour d’autres, une vision moins technicisée du commerce, mais un futur à écrire dans une perspective plus servicielle et relationnelle où le numérique se fait le média d’une proximité renforcée et la matrice incontournable de la relation entre commerçants et consommateurs, sous réserve toutefois que les premiers parviennent à s’en saisir. Et à ce niveau aussi, un accompagnement politique et institutionnel semble nécessaire.

  1. Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad)
  2. La consommation des ménages est en recul pour le troisième trimestre consécutif.

Contenu additionnel :


Numéro de la revue Netcom sur le thème “Commerce connecté et territoires” : https://journals.openedition.org/netcom/2305

Article publié
De l’affirmation d’une distribution alimentaire connectée:nouvelles pratiques d’achats, nouveaux enjeux territoriaux https://journals.openedition.org/netcom/2342

Les chiffres clés du e-commerce – site de la FEVAD : https://www.fevad.com/chiffres-cles-cartographie-e-commerce-2018/

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