Les travailleurs migrants à Ho Chi Minh-Ville

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Vivre en marge de la métropolisation dans une ville émergente

Clément MUSIL,
Chercheur associé à l’IPRAUS ENSA Paris Belleville, membre de la Chaire de recherche Urbanisation durable dans le Sud Global, Université de Montréal

TRAN Khac Minh,
Doctorant en géographie au laboratoire Prodig Université Paris I — Panthéon-Sorbonne

Depuis la fin des années 2000, le « V » de Vietnam figure parmi certains acronymes utilisés pour qualifier les économies émergentes, comme les CIVETS 1 qui connaissent un processus d’industrialisation intense. À l’échelle du Vietnam, cette industrialisation s’ancre dans les périphéries des grandes villes et suscite de nouvelles dynamiques territoriales comme dans la région métropolitaine de Ho Chi Minh-Ville (HCMV), considérée désormais comme le « hub » économique et commercial du pays.

Avec une population de plus de 13 millions d’habitants et une croissance économique à deux chiffres depuis plus de 15 ans, le poids économique de la métropole équivaut à 23 % du PIB national. Ce territoire connait en outre un processus de métropolisation nourri par des flux migratoires et par l’arrivée d’investissements directs étrangers. Les travailleurs migrants vers HCMV sont employés dans les secteurs industriels, manufacturiers et de la construction qui génèrent 45 % du PIB de la métropole et emploient 57 % de la population active. Ces travailleurs participent ainsi au dynamisme de la métropole et à la construction de son identité de « hub » économique régional. Se pose alors la question de leur intégration ou au contraire de leur relégation aux marges de cette métropolisation.

Flux migratoires nets entre provinces (2004-2009)

Métropolitains « temporaires »

Souvent d’origine rurale, ces travailleurs s’installent temporairement, puisqu’il ne disposent pas de permis de résidence en règle. En effet, au Vietnam, le gouvernement maintient une politique de contrôle des migrations. Chaque ménage dispose d’un permis de résidence émis dans sa province d’origine et ouvrant à des droits sociaux (scolarisation des enfants, soins médicaux, etc.). Métropolitains « temporaires », ces travailleurs ne sont pas pris en compte dans les recensements et viennent grossir les rangs d’une population dite « flottante » estimée à 1,5 voire 2 millions d’habitants.

Les travailleurs migrants rencontrent de nombreux obstacles à leur intégration à la métropole, qui les empêchent de développer un sentiment d’appartenance. Tout d’abord, ils sont administrativement discriminés par les autorités en raison de l’absence de permis de résidence en règle. Sous-estimés dans les projections démographiques, ils ne sont pas pris en compte dans les exercices de planification urbaine. La métropole n’est donc pas construite pour eux bien qu’ils participent au système productif. Ces travailleurs rencontrent aussi des difficultés pour acheter un logement en raison des prix élevés. Enfin, les secteurs de la construction et de l’industrie emploient des travailleurs en fonction des commandes, à « flux tendu », et sont donc à la recherche d’une main-d’œuvre flexible. Au-delà de ces contraintes économiques, professionnelles et administratives, l’arrivée des travailleurs migrants dans les espaces périphériques engendre en outre une transformation de la morphologie de ces espaces.

Dortoir ouvrier au bord d’un canal, Hô Chi Minh Ville, district de Thu Duc

On observe par exemple la construction de bâtiments servant de dortoirs destinés aux travailleurs migrants. Il s’agit de dortoirs locatifs regroupant des dizaines de logements disposés autour d’un espace servant de cour commune. La vie individuelle, collective ou familiale des migrants s’anime dans l’espace étroit de ces logements, souvent partagés entre plusieurs individus et disposant d’un accès à l’eau, de sanitaires et d’un coin cuisine. Leur présence favorise aussi l’apparition de nouvelles activités économiques, souvent informelles (cantines, commerces ambulants, marchés alimentaires), fournissant des biens et des services à bas prix. Pour autant, ces travailleurs sont maintenus dans une forte précarité limitant leur installation.

Marché temporaire dans le district 9

Appartenance au « pays natal »

Si ces travailleurs sont relégués aux marges de la métropole, ils n’ont pas non plus la volonté d’y développer un ancrage local et cultivent au contraire leur appartenance au quê, c’est-à-dire au « pays natal ». Ainsi, la majorité des migrants envoient près d’un tiers de leur salaire à leurs familles restées à la campagne. Ces fonds assurent une entraide familiale et contribuent à des projets familiaux tels que la construction d’une maison ou le développement d’un commerce. Cette solidarité envers le quê prend aussi d’autres formes. Elle se traduit par la création de communautés de travailleurs provenant d’une même province et travaillant dans une même usine ou sur un même chantier. De fait, la relation affective au quê que ces travailleurs migrants entretiennent conditionne leur retour au « pays natal » à plus ou moins long terme.

Ouvriers à l’entrée d’un chantier de construction, district 2

La face cachée de la métropolisation de HCMV se dilue donc dans les quartiers périphériques de la métropole. Dans ces espaces s’agrègent des travailleurs migrants qui n’ont pas d’avenir en tant que « citadins » privés d’un « droit à la ville ». Employés dans le secteur de la construction et dans les zones industrielles, ces travailleurs n’en restent pas moins des maillons essentiels au service du développement économique de la métropole. Logés dans des dortoirs en périphérie, ces migrants sont contraints d’occuper des emplois précaires, mal rémunérés et physiquement exigeants. Leurs conditions de travail et de vie difficiles sont aggravées par des mesures administratives discriminatoires en matière de contrôle résidentiel. Il est au final difficile pour eux de développer un sentiment d’appartenance et de s’intégrer durablement. Malgré l’importance de cette main-d’œuvre pour entretenir le dynamisme économique, ces travailleurs migrants sont considérés comme des citadins de second rang, en marge de la métropolisation de HCMV.

1. CIVETS : Colombie, Indonésie, Vietnam, Égypte, Turquie et Afrique du Sud

 

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Carte © Iau-idf – Photos © C. Musil © Tran K. M.

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