La coopération culturelle au service de la fabrique urbaine à Oakland et Saint-Denis

La coopération culturelle au service de la fabrique urbaine à Oakland et Saint-Denis

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Directrice d’études, Atelier parisien d’urbanisme (APUR)

Attachée culturelle, Services culturels de l’ambassade de France aux États-Unis (2017-2021)

Urbaniste, fondatrice de Légendes urbaines et co-fondatrice de l'atelier Approche.s !

Engagé en 2019, le projet de coopération Oakland / Saint-Denis questionne la dynamique de métropolisation, le rôle de la culture et la place des artistes dans la fabrique urbaine. Son objectif est de créer des liens et de partager des solutions concrètes entre deux territoires culturellement très différents, et en même temps confrontés à des enjeux communs et à de fortes dynamiques de projets.

Un dialogue international et transdisciplinaire

Oakland, située dans la baie de San Francisco, et Saint-Denis, localisé au nord de Paris, connaissent une incroyable vitalité artistique. À l’opposé de l’image de « banlieues » marginalisées et dévalorisées qui leur est souvent accolée, ces villes concentrent de nombreux lieux d’innovations culturelles et urbaines. Marquées par d’importantes dynamiques de projets – développement de la Silicon Valley d’une part, Grand Paris Express et Jeux olympiques de 2024 d’autre part –, elles subissent une forte hausse des prix de l’immobilier qui s’accompagne d’un mouvement de gentrification et d’enjeux urbains nouveaux. Attirés il y a dix-quinze ans par un foncier accessible et de grandes surfaces libres, les artistes, comme les plus démunis, sont aujourd’hui progressivement repoussés dans les franges de ces territoires. Face à ces enjeux, de nouvelles formes de création, de mutualisation et de mobilisation des acteurs et des lieux y sont inventées.

Le projet de coopération Oakland/Saint-Denis est né du besoin d’échanger, de croiser les expériences, de rendre visible, pour changer le regard porté sur ces espaces et aussi pour concevoir de nouvelles manières d’y fabriquer la ville. Il prend appui sur un dialogue international mais aussi transdisciplinaire. Une grande diversité d’acteurs et de points de vue sont impliqués : artistes, urbanistes, entrepreneurs, universitaires, élus et habitants. Cette diversité oblige à un effort de traduction – d’une culture à l’autre, d’une langue à l’autre, d’un métier à l’autre –, contribuant à faire émerger de nouvelles perspectives de travail et d’autres modes de faire.

 

La culture au centre de la fabrique de la ville

Ces échanges ont permis de questionner le rôle de la culture et des artistes dans la fabrique de la ville, pour favoriser une production urbaine plus qualitative et plus inclusive. Les expériences des deux territoires montrent que des solutions existent pour inclure la voix des artistes et des habitants dès la phase de conception des projets : diagnostic sensible, commandes artistiques intégrées au projet urbain, aménagements conçus de manière participative. Des exemples d’actions mises en oeuvre dans les deux territoires montrent que les démarches culturelles et artistiques peuvent aussi contribuer à donner du sens aux évolutions urbaines, en permettant de garder la mémoire de certains lieux ou en accompagnant les grandes dynamiques de projets, tels que le futur métro du Grand Paris Express. Le Downtown Oakland Specific Plan décline des outils très concrets pour soutenir l’expression culturelle à Oakland : mise en valeur des expressions culturelles des communautés dans les projets, bonus de densification des nouvelles constructions accordés en échange de locaux culturels abordables, obligation des promoteurs de proposer de nouveaux lieux aux entreprises culturelles contraintes de déménager.

 

Garder les artistes et les lieux culturels dans les villes : les exemples de Safer DIY Spaces et Shadetree à Oakland

Des actions concrètes, d’initiative publique ou privée, sont également mises en oeuvre dans ces deux territoires pour favoriser le maintien des artistes et des lieux créatifs. Différents lieux et acteurs clés d’Oakland ont été mobilisés et mis en avant dans le cadre d’échanges témoignant d’une diversité de montages adaptés aux différents contextes.

Une association, Safer DIY Spaces, créée à Oakland juste après l’incendie du Ghost Ship en 2016 qui a marqué un tournant majeur pour la pérennisation des lieux alternatifs, accompagne la mise aux normes de ces lieux en veillant à ce que les résidents ne soient pas délogés. Face aux risques d’expulsion, les communautés artistiques manifestent une certaine défiance envers les autorités publiques. Safer DIY Spaces fait figure de tiers de confiance et sert d’intermédiaire avec les propriétaires. Elle fournit aux espaces de création une expertise dans les domaines de mise aux normes du bâti, formalités juridiques et financement. L’association travaille par ailleurs avec la Ville pour réviser son code de la construction et sécuriser les lieux artistiques. Elle a créé un fonds permettant aux propriétaires d’emprunter pour sécuriser leurs bâtiments en contrepartie de loyers abordables.

Shadetree est un des plus anciens lieux collectifs de vie et de création d’Oakland. Menacé d’éviction en 2016, Shadetree a créé une organisation collective à but non lucratif et levé 2,8 millions de dollars en un an afin d’acquérir la propriété. Elle a ensuite constitué un fonds permettant de micro-investissements, pour achever la mise aux normes. Elle est devenue un modèle de résistance citoyenne à la pression immobilière, d’accès à la propriété et d’animation d’un lieu culturel indépendant.

 

Shadetree © Apur – Emilie Moreau

La coopération en réponse aux besoins des acteurs : l’exemple de La Main 9-3.0 et du 6b à Saint-Denis

Pionnière parmi les friches culturelles françaises, l’équipe du centre d’art multidisciplinaire Mains d’OEuvres s’est installée il y a vingt ans dans une ancienne usine à Saint-Ouen. Fin 2019, elle est expulsée à la demande du maire. Après une mobilisation sans précédent, Mains d’OEuvres a finalement gagné son procès et réintégré ses locaux début 2020. Pour trouver un équilibre financier et conserver ses ambitions de production et de diffusion artistiques, Main d’OEuvres et ses partenaires ont lancé une foncière culturelle et citoyenne. La Main 9-3.0, société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), réunit plusieurs lieux et une centaine de sociétaires (associations gestionnaires des lieux, collectivités locales, habitants, usagers, bénévoles, partenaires privés) qui sont collectivement propriétaires de la SCIC, qui peut elle-même devenir propriétaire des lieux. Les emplois liés aux ressources propres (bar, restaurant, location d’espace, etc.), les fonctions support (juridique, administratif, financier), une partie du matériel et certaines actions (fonds de coproduction artistique) sont mutualisés. Les économies d’échelle réalisées et le temps libéré permettent aux équipes de se concentrer sur la diffusion et la production artistiques. La surface économique offerte par le nombre de lieux et les financements propres à la SCIC (vente de prestations, financements européens…) permettent d’obtenir des capacités d’investissement que les lieux seuls n’auraient pas, des garanties auprès des banques, mais surtout, à terme, l’accès à la propriété collective.

 

Centre d’art multidisciplinaire Mains d’OEuvres, Saint-Ouen © Jeanne Franck – Atelier 13

Autre exemple, le 6b, lieu artistique et culturel situé à Saint-Denis dans les anciens bureaux d’Alstom, doit se réinventer pour rénover le bâtiment et maintenir son activité. L’objectif est de réussir à pérenniser le lieu, tout en conservant l’éclectisme artistique et en assurant la diversité et la sécurité des publics. Le projet repose sur une organisation bicéphale : l’association qui continue d’assurer l’animation du lieu et une SCIC créée pour acquérir et réhabiliter le bâtiment, qui rassemble l’association, les usagers et les collectivités selon une gouvernance partagée. Les subventions levées par la SCIC permettront à terme de limiter le loyer et les charges des résidents et d’assurer une redevance préférentielle pour les acteurs et artistes locaux. Les négociations pour acter le montant de l’acquisition du bâtiment n’ont toutefois pas encore abouti.

 

Le 6B © Apur – David Boureau

Le projet de coopération Saint-Denis/Oakland favorise les rencontres, les échanges et les apprentissages mutuels sur d’autres façons de concevoir la ville en y intégrant arts et culture. Par nature, il aspire à élargir le dialogue à d’autres territoires partageant les mêmes enjeux et inventant d’autres types de réponses.

 


Le projet de coopération Oakland / Saint-Denis

Porté par la Villa San Francisco et California Humanities en partenariat avec l’Institut français, la French American Cultural Society, Légendes urbaines, et associant l’Atelier parisien d’urbanisme, le projet de coopération rassemble une pluralité d’acteurs de différents profils. Il se décline en plusieurs actions à travers l’organisation de conférences, de résidences d’artistes, d’ateliers et des productions collectives de différents formats. Il a donné lieu à deux voyages d’études interdisciplinaires organisés en octobre et en novembre 2019 : une délégation de Californiens à Saint-Denis, une délégation de Franciliens à Oakland, partis à la découverte des deux villes pour comprendre le rôle des artistes dans la transformation de ces territoires et partager des outils innovants pour faire la ville autrement. Ces échanges se sont traduits par la réalisation d’un documentaire en mai 2020 [1] retraçant les rencontres et enseignements des deux délégations.

 

Des productions collectives pour faire la ville autrement

D’autres dynamiques ont émergé dans le cadre du projet, au travers de créations artistiques – telles que le projet SPACES [2] qui invite les habitants de Saint-Denis et d’Oakland à raconter leurs histoires et interroger leurs identités et liens d’attachement à la ville, à l’occasion de déambulations chorégraphiques dans l’espace public –, mais aussi au travers de l’organisation de débats entre acteurs des deux villes (élus, aménageurs, artistes…) ou encore d’échanges avec d’autres territoires confrontés aux mêmes enjeux, comme Chicago et Détroit. Ce projet de coopération a également donné lieu à la production d’un ouvrage co-écrit avec les partenaires californiens et français associés au projet, ayant pour double objectif de rendre compte du processus de traduction entre les cultures et les métiers, pierre angulaire du projet, mais aussi de partager très concrètement les innovations juridiques, économiques, culturelles, mises en oeuvre dans ces deux territoires et susceptibles d’être modélisées à plus grande échelle.

[1] Produit par California Humanities et réalisé par Camille Servan-Schreiber.

[2] Produit par Kaimera Productions.

Contenu additionnel :


Pour plus d’informations sur le projet de coopération Oakland / Saint-Denis : https://www.oaklandsaintdenis.org

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